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Si tu es venu écouter un homme supposé
transmettre la sagesse, tu t’es trompé de chemin car la
réelle sagesse ne se transmet ni par les livres, ni par les
discours ; la réelle sagesse est au fond de ta conscience comme
l’amour véritable est au fond de ton cœur.
Si
tu es venu, poussé par les calomniateurs et les hypocrites,
écouter cet homme pour utiliser ce que tu écoutes comme
argument contre lui, tu t’es trompé de chemin ; en effet,
cet homme n’est pas ici pour te demander quoi que ce soit, ni
pour t’utiliser car il n’a pas besoin de toi.
Tu
écoutes un homme qui ne connaît ni les lois qui
régissent l’Univers, ni celles de l’Histoire et qui
ignore les relations régissant les peuples. Cet homme
s’adresse à ta conscience, très loin des villes et
de leurs ambitions malsaines. Là-bas, dans les villes où
chaque jour est une aspiration arrêtée par la mort,
où la haine succède à l’amour, où la
vengeance succède au pardon, là-bas, dans les villes des
hommes riches et pauvres, dans les immenses espaces des hommes,
s’est déposé un voile de souffrance et de
tristesse.
Tu souffres quand
la douleur mord ton corps. Tu souffres quand la faim s’en empare.
Mais tu ne souffres pas seulement à cause de la faim ou de la
douleur immédiate de ton corps, tu souffres aussi des
conséquences des maladies de ton corps.
Tu dois
distinguer deux types de souffrance : l’une est produite en toi
par la maladie (elle peut reculer grâce au progrès de la
Science comme la faim peut reculer grâce au triomphe de la
justice); l’autre ne dépend pas de la maladie de ton corps
mais en découle : si tu es infirme, si tu ne peux pas voir ou
entendre, tu souffres ; mais, même si cette souffrance
découle de ton corps ou de ses maladies, elle est celle de ton
mental.
Il y a une autre
souffrance qui ne peut reculer ni avec le progrès de la Science,
ni avec celui de la justice. Cette souffrance, strictement liée
à ton mental, recule devant la foi, devant la joie de vivre,
devant l’amour. Tu dois savoir que cette souffrance est toujours
basée sur la violence qui se niche dans ta conscience. Tu
souffres par crainte de perdre ce que tu as ou à cause de ce que
tu as déjà perdu ou pour ce que tu
désespères d’atteindre. Tu souffres de ne pas avoir
ou par peur en général… Voilà les grands
ennemis de l’homme : la peur de la maladie, la peur de la
pauvreté, la peur de la mort, la peur de la solitude. Toutes ces
souffrances sont propres à ton mental. Toutes
révèlent la violence intérieure, la violence
présente dans ton mental. Remarque comment cette violence
découle toujours du désir. Plus un homme est violent,
plus ses désirs sont grossiers.
Je voudrais te raconter une histoire qui arriva il y a très longtemps.
Il était une fois un voyageur qui devait parcourir un
très long chemin en un temps limité. Il attela donc son
animal à un chariot et entreprit un longue périple vers
une destination lointaine. Il appela l’animal
Nécessité, le chariot Désir, l’une des deux
roues Plaisir et l’autre Douleur. Et le voyageur menait ainsi son
chariot, tantôt à droite, tantôt à gauche,
mais toujours vers sa destination. Plus le chariot allait vite, plus
les roues du Plaisir et de la Douleur tournaient rapidement,
reliées par le même essieu et portant le chariot du
Désir. Comme le voyage était très long, notre
voyageur s’ennuyait. Il décida alors de le décorer
en le parant de beaux atours, et c’est ainsi qu’il fit.
Mais plus il embellissait le chariot du Désir, plus celui-ci
devenait lourd pour la Nécessité. Dans les virages et les
pentes raides, le pauvre animal défaillait, ne pouvant plus
traîner le chariot du Désir. Sur les chemins sablonneux,
les roues du Plaisir et de la Souffrance s’enfonçaient
dans le sol. Un jour, le voyageur désespéra car le chemin
était très long et sa destination très lointaine.
Cette nuit-là, il décida de méditer sur ce
problème, et ce faisant, il entendit le hennissement de son
vieil ami. Comprenant le message, il défit dès le
lendemain matin les ornements du chariot, l’allégeant de
tout son poids. Il remit alors son animal au trot, avançant vers
sa destination. Néanmoins, il avait perdu un temps
irrécupérable. La nuit suivante, il médita encore
une fois et comprit, grâce à un nouvel avertissement de
son ami, qu’il devait entreprendre une tâche deux fois plus
difficile qui signifiait “se détacher”. A
l’aube, il sacrifia le chariot du Désir. Il est vrai que,
ce faisant, il perdit la roue du Plaisir, mais avec elle il perdit
aussi la roue de la Souffrance. Il monta sur le dos de l’animal
Nécessité et commença à galoper par les
vertes prairies jusqu’à destination.
Vois comme le
désir peut te limiter. Il y a des désirs de
différentes qualités. Certains désirs sont
grossiers, d’autres plus élevés. Elève le
désir ! Dépasse le désir ! Purifie le désir
! Tu devras alors certainement sacrifier la roue du plaisir, mais tu
perdras aussi celle de la souffrance.
Chez
l’homme, la violence mue par les désirs ne reste pas
seulement dans sa conscience, comme une maladie, mais agit aussi dans
le monde des hommes ; elle s’exerce sur les autres personnes.
Lorsque je parle de violence, ne crois pas que je me
réfère uniquement à la guerre et aux armes avec
lesquelles les hommes détruisent d’autres hommes ; ceci
est une forme de violence physique. Mais il y a aussi une violence
économique qui te fait exploiter l’autre : elle
apparaît quand tu voles l’autre, quand tu n’es plus
son frère, mais plutôt un rapace pour lui. Il y a aussi
une violence raciale : crois-tu ne pas l’exercer quand tu
persécutes quelqu’un d’une race différente de
la tienne ? Crois-tu ne pas l’exercer quand tu le diffames car il
est d’une race différente de la tienne ? Il y a une
violence religieuse : crois-tu ne pas l’exercer quand tu ne
donnes pas de travail à quelqu’un, que tu lui fermes les
portes ou le licencies parce qu’il n’est pas de la
même religion que toi ? Crois-tu ne pas être violent
lorsque tu enfermes en le diffamant celui qui ne communie pas avec tes
principes ? Et lorsque tu l’enferme dans sa famille ou parmi ceux
qui lui sont chers parce qu’il ne partage pas ta religion,
crois-tu ne pas être violent ? Il y a d’autres formes de
violence comme celles imposées par la morale des philistins : tu
veux imposer ta manière de vivre à l’autre, tu dois
lui imposer ta vocation… Mais qui t’a dit que tu es un
exemple à suivre ? Qui t’a dit que tu peux imposer une
façon de vivre parce qu’elle te plaît ? Où
est le moule, où est le modèle pour que tu
l’imposes ?… Ceci est une autre forme de violence.
C’est
uniquement par la foi intérieure et la méditation
intérieure que tu peux en finir avec la violence en toi, chez
les autres et dans le monde qui t’entoure. Les fausses solutions
ne peuvent mettre un terme à la violence. Ce monde est sur le
point d’exploser, et il n’y a pas moyen de mettre un terme
à la violence. Ne cherche pas de fausses solutions ! Il
n’existe pas de politique capable de résoudre cette folle
angoisse de la violence. Il n’existe ni parti, ni mouvement sur
la planète qui puissent mettre un terme à la violence. Il
n’existe pas de fausses solutions pour la violence dans le
monde… On me dit que les jeunes, sous différentes
latitudes, cherchent de fausses solutions pour sortir de la violence et
de la souffrance intérieure, et qu’ils se tournent vers la
drogue. Ne cherche pas de fausses solutions pour en finir avec la
violence.
Mon frère
! suis des règles simples comme sont simples ces pierres, cette
neige et ce soleil qui nous bénit. Porte la paix en toi et
porte-la aux autres. Mon frère ! là, dans
l’Histoire, l’être humain porte le visage de la
souffrance. Regarde ce visage plein de souffrance… Mais
rappelle-toi qu’il est nécessaire d’aller de
l’avant, nécessaire d’apprendre à rire et
nécessaire d’apprendre à aimer.
A toi, mon frère, je lance cet espoir, cet espoir de joie, cet
espoir d’amour afin que tu élèves ton cœur et
ton esprit et afin que tu n’oublies pas d’élever ton
corps.
*Publié aux Editions Références,
Silo, "Propos, Recueil d'opinions, de commentaires et de conférences 1969-1995",Paris, 1999, 378p.
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